Wallace ou le déclic de la théorie de l’évolution de Darwin

Alfred Russel Wallace au milieu des années 1910

Voici des années que Charles Darwin rassemble et rédige avec une certaine difficulté son travail sur la théorie de l’Évolution quand en 1858, il se trouve fortuitement en confronté aux idées d’Alfred Wallace qui a une intuition lumineuse sur le sujet.

Depuis son voyage sur le Beagle réalisé entre 1831 et 1836, Charles Darwin n’a pas quitté l’Angleterre. Il a accumulé de nombreux arguments notamment en effectuant des élevages de pigeons, afin de rapprocher la notion de sélection artificielle effectuée par l’Homme et la sélection naturelle. N’ayant toujours rien publié sur le sujet, seuls ses plus proches collègues comme Charles Lyell, Joseph Hooker ou Thomas Huxley par exemple sont dans la confidence. Charles Darwin est néanmoins déjà reconnu par ses pairs en raison de la publication des résultats scientifiques de son voyage sur le Beagle faites entre 1839 et 1843, ou encore sur son interprétation géologique de la formation des atolls coraliens publiée en 1842. Il achète pour ses recherches des spécimens oiseaux domestiques ou sauvages. C’est dans ce cadre qu’il se trouve comme fortuitement en contact avec Alfred Wallace, explorateur, chasseur et taxidermiste, qui est parmi les fournisseurs de Darwin. Les deux naturalistes entament une correspondance et Wallace transmets depuis la Malaisie, un bref manuscrit, On the tendency of varieties to depart indefinitely from the original type, demandant à Darwin de donner son avis et de transmettre le document à Charles Lyell. Le papier de Wallace rédigé rapidement relève d’une intuition du mécanisme de l’Évolution par sélection naturelle. La convergence des idées avec les siennes bouleverse Darwin qui a alors quelques difficultés personnelles suite à la mort de son dernier fils, victime de la scarlatine. Il fait part de son désarroi à ses collègues et Hooker, Lyell et Huxley organisent le 1er juillet 1858, lors d’une réunion de la société linnéenne de Londres, un lecture commune d’extraits du travail de Darwin, d’une lettre qu’il avait adressé un an plus tôt au botaniste américain, Asa Gray, puis du manuscrit de Wallace. Il s’agissait d’attester la priorité intellectuelle de Darwin sur le sujet. Cet « arrangement subtil » stimule Darwin a rédiger en quelques semaines un résumé de son gros ouvrage, qui finalement ne sera jamais achevé. C’est ce résumé qui deviendra la première édition De l’origine des espèces, dont les 1250 premiers exemplaires publiés le 24 novembre 1859, seront vendus en une seule journée. Alfred Wallace, ne pris pas ombrage de la manœuvre, et au contraire et dit même dans son auto-biographie parue en 1908 : Je n’ai pas seulement approuvé, j’ai ressenti qu’ils m’avaient fait plus d’honneur et prêté plus de crédit que je n’en méritais en plaçant ma soudaine intuition – hâtivement transcrite et aussitôt envoyée pour avis à Darwin et Lyell -, au même niveau que les longues recherches de Darwin. Alfred Wallace et Charles Darwin ont correspondu pendant de longues années.

Nous avons d’un côté l’œuvre de presque une vie, avec Darwin et d’un autre une étincelle intuitive de Wallace, mise en quelque sorte sur un même plan. Wallace intervient donc plus comme un déclic à la publication, au départ laborieuse, des idées de Darwin et a permis l’accélération de leur aboutissement. Il convient de ne pas prêter attention aux « théories de complots » assemblées par des polémistes à l’époque ou encore maintenant.

Dans les faits, les premières idées de Wallace s’orientaient sur la notion d’une Évolution directionnelle, c’est à dire orientée vers un progrès. Il est alors dans la lignée des pensées d’Aristote qui vont dans le sens d’une économie de la nature, qui considère que chaque espèce a une place à tenir et qui fixe le rôle de chacune. Ses idées s’apparentes aussi à celles du Lamarckisme d’abord. Dans son manuscrit transmis à Darwin et Lyell, la pensée de Wallace est profondément modifiée dans le sens d’une Évolution par sélection naturelle, et non avec un objectif dirigé vers un progrès. Au-delà, Wallace, est réputé diverger de la théorie darwinienne, or, ceci relève d’erreurs rapportés par les auteurs : il a défendu avec ferveur cette Théorie jusqu’à sa mort. Il publie en 1889 un ouvrage nommé Darwinism, selon un terme toujours actuel et qui a été forgé peu de temps après l’édition De l’origine des espèces dans les années 1860.

Selon Wallace, l’Homme y échappe en raison de son intelligence… et selon nous il n’est pas certain qu’il n’ait pas raison sur certains points. En effet on peut voir par exemple comme l’humanité échappe à la sélection des individus les plus résistants, lors d’épidémie finalement contrôlées par des programmes de vaccination. Le cas du CoVid nous semble un exemple acceptable de ce phénomène de résistance de l’humanité à la sélection naturelle et il n’en a pas été de même dans le cas de la peste qui a sévit au Moyen Âge et a sélectionné les individus les plus résistants à cette maladie.

Alfred Russel Wallace est né le 8 janvier 1823 au Pays de Galles et décédé le 7 novembre 1913, au terme d’une vie longue et mouvementée de 90 ans. Il est réputé avoir mis au point la théorie de l’Évolution par la sélection naturelle en même temps que Charles Darwin, or, nous avons vu plus haut qu’il ne s’agit que d’une simple intuition, certes basée sur diverses observations et une bonne expérience des espèces et de l’environnement, mais qui ne lui a en aucun cas coûté de longues et minutieuses recherches comme a pu les mener Charles Darwin.

Alfred Wallace a été descolarisé très tôt à l’âge de 14 ans et il est d’abord apprenti charpentier, puis arpenteur géomètre ferroviaire, avant de s’orienter vers une vie d’explorateur naturaliste qui le mène en Amazonie où il débarque le 26 mai 1848, à l’âge de 25 ans. Il est alors en compagnie du jeune Henry Bates, entomologiste passionné de 23 ans seulement. Il ne rentra en Europe qu’en 1852 et son navire fait naufrage suite à un incendie, réduisant à néant toutes ses collections, ses carnets de terrain, ses animaux vivants qu’il ramenait sur le vieux continent. L’équipage est sauvé par une sorte de rafiot et est débarqué avec Wallace à Douvres le 1er octobre 1852. Ceci ne décourage pas le naturaliste qui part pour l’Asie du Sud-Est en 1854 et il arrive à Singapour le 20 avril et va explorer pendant huit ans l’archipel indo-malais. C’est alors qu’il découvre un net décrochement écologique entre l’ouest et l’est de l’archipel. En effet si les faunes de l’ouest sont apparentés à celles de l’Asie, celles de l’est présentent des affinités avec les espèces australiennes. Il décrit cette rupture biogéographique placée entre Bornéo et les Célèbes, ainsi qu’entre Java et Lombok en 1859. Cette délimitation est nommée ligne Wallace par T.H.Huxley en 1868 et n’ayant pas été démentie depuis, reste un concept biogéographique majeur pour cette région de la planète. Alfred Wallace s’intéresse à la biogéographie et publie en 1876 un ouvrage en deux tomes : The Geographical Distribution of Animals. Il est considéré comme le père de la biogéographie. Les intuitions biogéographiques de Wallace sont en phases avec quelques prémisses du concept de la tectonique des plaques avec un demi-siècle d’avance sur Wegener. Il a déjà une perception valable du rôle de la fragmentation continentale, des variations climatiques ou encore de la formation de chaîne de montagnes sur la formation de barrières naturelles au sein même de la répartition des populations.

Wallace est un brillant autodidacte. Il est rédacteur de nombreux articles ou livres tout à fait prolifique. Il n’hésite pas à donner son opinion, à proposer des solutions, des explications… sur un grand nombre de sujets tant naturalistes, que plus divers. La pensée de Wallace paraîtra quelque peu brouillon, et, fusant dans tous les sens et n’est autre que le résultat d’un grand bouillonnement intellectuel. Par ailleurs son adoption à certaines idées notamment autour du spiritisme par exemple vont desservir le personnage, pourtant tout à fait brillant par ailleurs. Il apparaît possible qu’il ait trouvé refuge dans ce domaines suite à de nombreuses pertes de membres de sa famille proche. Diverses facettes des activités de Wallace sont méconnue, et il a par exemple été un précurseur de l’exobiologie en s’intéressant aux possibilités de la vie sur la planète Mars.


  • Agence France Presse 2023 Le naturaliste Alfred Wallace, 200 ans dans l’ombre de Darwin. – France 24, en ligne, 8 janvier 2023. – ONLINE
  • Berry A. & Browne J. 2008 – The other beetle-hunter. – Nature, 453 : 1188–1190. – ONLINE
  • Kutchera U. 2012 – Wallace pioneered astrobiology too. – Nature, 489 : 160. – ONLINE
  • Langlois C. 2015 L’autre découvreur de la sélection naturelle : Alfred R. Wallace. – Planet Terre, en ligne, 22 octobre 2015. – ONLINE
  • Wallace A.R. 1876 The Geographical Distribution of Animals. – Harper & brothers publ., New York, 2 volumes. – ONLINE