Le 15 janvier 2008 une réunion s’est tenue sur ce thème en Isère dont le compte-rendu a été dressé par la LPO Isère. Je me suis régulièrement promis de construire les éléments de raisonnement qui permettaient de proposer un tel indicateur, m’étant comme bien d’autres rapidement aperçu que la méthode « une espèce = une espèce » est une porte ouverte à de nombreux biais. Alors de quoi peut-on partir ? Qu’est-il possible de tenter ? Jusqu’où peut-on aller ? C’est ce que je tente de résoudre pas à pas ci-dessous, avec pour force du raisonnement une nécessaire simplicité qui conduit à une utile lecture des résultats et qui se base sur à la fois sur la faisabilité des choses, et leur amélioration progressive à mesure que les connaissances sont apportées, tant en termes de chiffres, qu’en terme de mesure raisonnée du patrimoine, que de l’état de conservation de l’environnement. Dans le département de l’Isère, nous verrons que l’hétérogénéité de la dimension des communes et l’amplitude des altitudes concernant celles-ci demande l’application d’ajustements (par abaques) pour rendre tous les éléments comparables.
De manière simple la Biodiversité peut s’exprimer par un nombre d’espèces
Néanmoins ce nombre n’est pas forcément en rapport avec les enjeux et la qualité des espèces, ou, avec l’état de conservation des habitats.
Les paramètres qui font bouger ce nombre sont principalement :
- Le niveau de connaissance : plus la connaissance augmente et plus la biodiversité augmente. Celui-ci est influencé principalement par les points suivants :
- La commune présente un réseau d’accès aux différentes stations relativement denses : mieux prospectée, la biodiversité augmente.
- La commune présente sur son territoire un ou plusieurs naturalistes actifs : mieux prospectée au quotidien, la biodiversité augmente. Ce paramètre peut être particulièrement conséquent.
- La commune présente un ou plusieurs territoires protégés : les études préliminaires catalysées conduisent à augmenter les connaissances, par contre a contrario, une fois le classement fait des sites, en absence de suivi volontaire et actif, la tendance ira s’inversant, les naturalistes ne prospectant pas les sites protégés sans mandat ou autorisation, ils tendent à limiter leurs visites.
- La surface de la commune : plus la commune est grande et plus la biodiversité augmente.
- L’amplitude altitudinale de la commune : plus celle-ci est forte et plus la biodiversité augmente. Les altitudes en moyennes élevées se traduisent par une baisse structurelle et naturelle de la biodiversité. Le niveau chiffré donné pourrait être ainsi biaisé et nier une diversité de qualité (on s’approche du point n°5).
- Les barrières et l’isolement de la commune quant aux circulations d’espèces conduit à une baisse structurelle et naturelle de la biodiversité. Les ruptures de corridors peuvent agir de manière artificielle.
- Enfin, l’augmentation des surfaces de milieux naturels limitants conduit à la présence d’une biodiversité de qualité, par contre faible en nombre d’espèces. Nous atteignons ici un paradoxe entre la qualité des enjeux et la diversité réellement constatée. Des eaux eutrophes sont beaucoup plus riches en invertébrés que des eaux oligotrophes. On trouve par contre dans les secondes les cortèges le plus remarquables et exceptionnels. La même logique concerne la distinction entre marais et tourbières, pourtant les tourbières sont des enjeux relativement supérieurs.
Une alternative à l’évaluation de la biodiversité est celle du décompte des genres « représentatifs ». Ceci a pour avantage d’écrémer des effets de niveau de connaissance (1), de surface (2), d’altitude (3), et résous une part significative des biais de l’isolement (4) ou les fortes proportions d’habitats spécialisés (5). On travaille alors au plus près des traits biologiques qui sont représentatifs de potentialités offertes par les milieux. Tel ou tel genre, quel que soit le nombre d’espèce représenté dans ce genre, est représentatif des eaux temporaires. Sa présence seule est un indicateur suffisant de la qualité des habitats. Aussi arrive-t-on à la source de tout environnement : la clé n’est-elle pas dans l’évaluation de la diversité des habitats et de leur état de conservation ?
On sait évaluer chacun des 5 points présentés plus haut, en particulier si on sait accepter de rester simple et pragmatique. Quant à la qualité/enjeux ceci dépends de la connaissance globale des groupes étudiés (avec ou sans liste rouge par exemple). On sait évaluer l’état de conservation des habitats. Quel poids donner à chaque paramètre ? De combien augmente ou diminue chaque élément qui contribue aux biais.
Que sait-on compter ? Certains groupes faunistiques ou floristiques sont bien connus et il est possible de donner un chiffre. Ce chiffre est fonction, certes des groupes, mais en particulier de chacun des 5 points présentés plus haut. S’il est haut c’est un acquis, par contre s’il est bas, ceci peut relever d’un biais. Aussi s’agit-il de s’orienter vers une évaluation a minima : c’est au moins la valeur annoncée qui est à considérer. L’hétérogénéité des échantillonnages peut-être modérée ou coefficientés, mais dans quelle mesure et selon quel poids ? Ne s’agit-il pas de considérer des seuils de connaissance minimale nécessaire pour la participation d’un groupe faune ou flore dans l’évaluation ou de considérer ce niveau, afin de déterminer une fiabilité des résultats ?
Explorons la question. Quels sont les groupes connus : pour la flore : les Champignons (pas d’inventaire communal à ma connaissance), les Mousses (inventaires très hétérogènes), les Phanérogames (inventaires satisfaisants), certains Insectes (inventaires hétérogènes, moins pour les Orthoptères, moins encore pour les Rhopalocères et les Odonates), les Mollusques (inventaires très hétérogènes), les Vertébrés (inventaires satisfaisants). Les inventaires peuvent être considérés comme satisfaisants pour les Phanérogames, les Rhopalocères, les Odonates et les Vertébrés sur le département, ce, malgré une part d’hétérogénéité liée aux 5 points précédents, plus qu’à des connaissances fondamentalement lacunaires (tout est relatif). L’inventaire des habitats est à considérer aussi comme satisfaisant.
Explorons plus en détail les choses. En ne considérant que ces groupes, le poids de la biodiversité de chacun de ces groupes est hétéroclite. Aussi doit-on considérer chacun des groupes, comme un poids autonome dans la masse de l’évaluation. Le poids des Phanérogames est de 10 fois le poids de la plupart des groupes, représentatifs de la base des habitats ceci peut paraître raisonnable (coef.10), en restant pragmatique un coef.2 est attribuable aux Rhopalocères et aux Oiseaux, le coef.1 s’appliquant volontiers aux Odonates, aux Poissons et aux Mammifères, enfin un coef. 0,25 est acceptable pour les Amphibiens ou les Reptiles. Peut-on juger acceptable que les Amphibiens par exemple aient un poids 40 fois moindre que les Phanérogames dans l’évaluation ? Ne doit-on pas considérer chaque groupe comme un fonctionnement intrinsèque propre de la représentation de la diversité, auquel cas les Amphibiens sont à considérer à part entière (coef.1), ni plus ni moins que les Rhopalocères qui couvrent un pendant de la biodiversité (ramenés coef.1). On se trouverait alors dans une sous-représentation des Phanérogames s’ils étaient ramenés à un poids coef.1. Aussi il s’agit de distinguer les éléments d’information apportés en traitant les très grandes familles comme autant d’entités de diversité : distinguer les Ptéridophytes, les Conifères, on distinguera volontiers les grandes familles comme celles des Graminées, des Cypéracées, des Ombellifères, des Rosacées ou des Orchidées comme autant d’unité de l’évaluation. Mais jusqu’où et quand s’arrête-t-on ? Quelles qualités sont requises pour qu’un groupe ainsi identifié soit considéré comme une entité descriptive satisfaisante de la Biodiversité ? Un groupe peut être homogène dans sa description de la qualité des habitats, il peut être a contrario intéressant car il décrit une grande variété d’habitats, il peut aussi être connu de manière trop hétérogène. N’iront-on pas repêcher les très intéressants Potamogétonacées ? Le choix des coefficients est rapidement arbitraire et souffre de difficultés de définition des entités à considérer.
Alors on reviens à deux possibilités : « un = un », ne tenant pas compte de la qualité et des enjeux, ou, rester au niveau de la base de l’évaluation : la biodiversité s’estime par la diversité des habitats et de leur état de conservation. Une alternative élégante reste l’estimation de la diversité des genres en ne tenant pas compte des genres singuliers (une seule espèce connue) ou éclatés conservés à l’initial (genre splitté de manière moderne en plusieurs genres), les traits biologiques grossièrement dégagés indiquent un potentiel d’accueil de la commune qui nécessite des lots de données plus faibles. On peut se limiter à des genres représentatifs sélectionnés soit par le nombre significatif de leurs espèces, soit pour leur représentation patrimoniale.
J’arrive en raccourci, à la conclusion suivante : une évaluation de la biodiversité, par l’usage de coefficients, évaluations des lacunes, enjeux, basée sur le nombre d’espèce est une entreprise hasardeuse qui dépends fortement des choix opérés. Une fois le choix opérés on peut s’en satisfaire, mais la part d’arbitraire semble bien lourde à gérer. L’évaluation de la biodiversité communale ne peut passer que par le décompte de ses habitats avec coefficient (un habitat bien conservé en vaut deux, un habitat bien représenté en vaut deux, bien conservé et bien représenté en vaut trois) ou par le décompte des genres de la flore et de la faune représentés avec coefficient et exclusion des genres singuliers (un genre patrimonial en vaut deux, un genre rare en vaut deux, un genre bien représentée en vaut deux, un genre patrimonial et bien représenté en vaut trois), un cumul moitié (habitats) / moitié (genres) peut être appliqué de manière satisfaisante. On dégage ainsi le substrat (les habitats) et les traits biologiques (les genres) comme deux parts d’égale dimension de l’évaluation de la biodiversité. Le tout doit être ramené à une valeur idéale en pourcentages de cette valeur, qui est le triple du nombre des habitats du département (écrémant éventuellement les habitats très faiblement représentés < 10 % des communes par exemple) et le triple du nombre des genres des groupes considérés dans l’évaluation (l’écrémage se faisant par l’exclusion des genres singuliers ou non représentatifs).
Calcul et chiffres théoriques (pas utile d’aller aux sources à ce niveau de la réflexion) : 300 habitats en Isère (soit max. 900 en indice), 150 genres de phanérogames, 20 genres de Libellules, 40 genres de Papillons, 40 genres d’Oiseaux, 5 genres d’Amphibiens (765 max. en indice) (chiffres exemples de référence). Ces valeurs sont les références départementales, fondamentales pour ajuster le poids de chaque chose de manière équilibrée. La commune présente 150 habitats, dont 50 biens représentés (=100), 10 biens conservés (=20) et 10 biens conservés et représentés (=30), soit 80 autres habitats : total habitats 240 / 900 = 27 % de l’optimal (arrondi évidemment), on trouve 150 genres par exemple représentatifs, parmi la liste des groupes précédents, dont 50 biens représentés (=100), 10 avec une espèce patrimoniale (=20) et 10 avec une espèce patrimoniale et biens représentés (=30), soit 80 autres genres : total genres 240 / 765 = 31 %. Le bilan biodiversité de la commune est de (27+31)/2 = 29% de l’optimal départemental en termes d’habitats et de représentativité. On peut imaginer que les connaissances pour tous les ensembles considérés ci-dessous est bonne : fiabilité forte (valeur acceptable entre 29% jusqu’à +5% soit jusqu’à 34 % ; la valeur basse est un acquis des connaissances donc un seuil), insuffisante pour une part minoritaire des groupes, fiabilité moyenne (valeur acceptable jusqu’à + 10 % soit 39%), insuffisante pour une part majoritaire des groupes, fiabilité faible (valeur acceptable jusqu’à +30 %, soit jusqu’à 59 %). On peut comme indiqué plus haut s’arrêter aux habitats seulement, auquel cas les chiffres sont selon les trois situations de la phrase précédente : 27 % jusqu’à 32 %, jusqu’à 37 % ou jusqu’à 57 %. Nous sommes dans tous les cas basés sur des rapports et une référence qui est celle de la Biodiversité départementale. Les poids considérés sont ceux des habitats, voire des genres (traits biologiques simplifiés). La méthode de calcul tiens compte des effets de prospection (point 1 plus haut), mais en aucun cas des autres points. Considérons ici que la fiabilité des connaissances si elle influe sur la justesse probable du résultat, ne vient qu’en renfort. Si les connaissances sont plus limitées on en saura moins sur la valeur patrimoniale des espèces ou celle de l’état de conservation de l’ensemble… c’est tout. La valeur minimale est un état constaté, la fourchette donnant une borne maximale est fonction de la qualité de l’échantillon.
Le point 2 peut être résolu en traitant en abaque, une représentation de la surface des communes avec niveau de prospection jugé équivalent et coefficient adapté pour ramener toutes les communes sur un point d’égalité pour comparaison.
La même méthode appliquée à l’altitude moyenne ou l’amplitude altitudinale des communes peut résoudre le point 3 donné en début de présentation.
En définitive, les points 4 et 5 sont résolus de fait par la limitation à des éléments simples mais caractéristiques de la biodiversité qui sont les habitats et les traits biologiques (genres représentatifs). Même A contrario l’existence d’habitats spécialisés (point 5) conduit à l’apparition d’espèces patrimoniales qui prennent du poids (valent 2 ou 3 selon leur état de conservation) dans l’évaluation.
L’évaluation proposée est bien un indicateur tout à fait représentatif et caractéristique de la Biodiversité, de sa qualité et de son état de conservation. C’est une valeur a minima basée sur le constatée et comparable de manière raisonnée entre chaque commune. Elle me semble donner une solution satisfaisante du problème traitée en éliminant au mieux et au plus simple les biais soulignés.
Cyrille Deliry Entre Amis, Villette de Vienne le 3 mars 2010